En me promenant un jour dans les rues du quartier Chapinero de Bogotá, je suis tombé sur une statue intrigante dans le parc situé à l’angle de la Calle 69a et de la Carrera 9. Un homme, d’humeur contemplative, est en proie à une intense réflexion. Il s’agit de Giordano Bruno (1548-1600). Voici une photo de la statue, prise de dessous.
Cette statue d’un Giordano Bruno bien vivant contraste fortement avec la statue formelle qui se trouve sur le Campo de’ Fiori (champ de fleurs) à Rome, où il a été brûlé sur le bûcher en 1600.
La statue de Bogota est également totalement différente de la sculpture macabre de Bruno, suspendu à l’envers sur un bûcher, qui se trouve sur la Potsdamer Platz à Berlin.
Bruno est l’un des penseurs les plus fascinants du XVIe siècle. Il a voyagé dans toute l’Europe occidentale, a rencontré certains des plus grands intellectuels de l’époque et a écrit de nombreux ouvrages sur un grand nombre de sujets. Son style d’écriture était tout à fait unique. Voici comment Hilary Gatti, ex-professeure associée de littérature anglaise à Rome et traductrice de La Cena de le ceneri1 [Le Banquet des cendres], décrit sa première rencontre avec Bruno et l’influence qu’il a exercée sur Shakespeare.2
TOUT A COMMENCÉ PAR UN COURS que je donnais sur Hamlet de Shakespeare à l’université de Rome « La Sapienza » en Italie. Au cours de ma lecture d’une petite partie de l’énorme quantité de documents critiques sur la tragédie de Shakespeare [...], je suis tombé sur une référence à une théorie selon laquelle certaines des caractéristiques d’Hamlet auraient pu être basées sur la vie et la mort tragique de Giordano Bruno, dans le Campo dei Fiori (le champ de fleurs), à Rome. […] J’ai rapporté chez moi le dialogue spécialement mentionné dans la page que j’avais lue, La cena de le ceneri, ou Le Banquet des cendres, dans l’édition Einaudi de 1955 dirigée par Giovanni Aquilecchia—un excellent érudit qui deviendrait bientôt un point de référence majeur tout au long de mes études sur Bruno. Je me souviens l’avoir lu en quelques heures, arrivant à la fin presque à bout de souffle. Je l’ai trouvé stupéfiant, bouleversant. Qu’est-ce que c’était ? De la philosophie, de la cosmologie ou du théâtre ? Ou de la philosophie et de la cosmologie sous la forme d'un drame ? Et quel genre de langue était-ce ? Je n’avais jamais lu ou entendu un tel italien, qu’il soit ancien ou moderne. Et comment cet homme de Nola (où était Nola ?) en savait-il autant sur le Londres élisabéthain ? Je n’étais alors sûr que d’une chose, et je n’ai jamais changé d’avis : Shakespeare avait parcouru ces pages. D’une manière ou d’une autre, quelque part, il les avait lues ou se les était fait lire. Car Le Banquet des cendres est un extraordinaire théâtre d'idées contradictoires, comme le sont d’ailleurs (je le découvrirai plus tard) tous les dialogues italiens de Bruno, ainsi que ses œuvres latines. [...] C’est aussi une œuvre dans laquelle Bruno dépeint clairement et explicitement une image prophétique de l’endroit où tout cela se terminerait : sa mort sur le bûcher en tant qu'hérétique méprisé. Shakespeare aussi a compris le drame des esprits si novateurs, si audacieux, que leurs sociétés n’ont pu y répondre qu’en décrétant leur silence éternel.3 [pp.ix-x, souligné par moi-même]
Après avoir lu une telle introduction, comment ne pas se précipiter à la bibliothèque (ou sur Internet), et commencer à lire Bruno ?
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Texte original (25 décembre 2023):
Traduction avec l’aide partielle de Deepl.
Giordano Bruno. The Ash Wednesday Supper. Translated by Hillary Gatti. University of Toronto Press, 2018.
Hillary Gatti. Essays on Giordano Bruno. Princeton University Press, 2011.
IT ALL BEGAN WITH A COURSE I was giving on Shakespeare’s Hamlet at the University of Rome “La Sapienza” in Italy. During my reading of a small slice of the daunting amount of critical material on Shakespeare’s tragedy …, I came across a reference to a theory that some of Hamlet’s characteristics might have been based on the life and tragic death of Giordano Bruno, in the Campo dei Fiori (The Field of Flowers), in Rome. […] I brought home with me the dialogue especially mentioned on the page I had been reading, La cena de le ceneri, or The Ash Wednesday Supper, in the Einaudi edition of 1955 edited by Giovanni Aquilecchia — a fine scholar who would soon become a major point of reference throughout my Bruno studies. I remember reading it through in a few hours, getting to the end almost out of breath. I found it stunning, overwhelming. What was this? Philosophy or cosmology or drama? Or philosophy and cosmology in the form of a drama? And what kind of language was this? Like no Italian I had ever read or heard anywhere before, either ancient or modern. And how did this man from Nola (where was Nola?) know so much about Elizabethan London? Of one thing only I felt quite sure then, and I have never changed my mind: Shakespeare had been through those pages. Somehow, somewhere, he had either read them or had them read to him. For The Ash Wednesday Supper is an extraordinary theater of conflicting ideas, as indeed (as I would discover later) are all Bruno’s Italian dialogues, and his Latin works as well. […] It is also a work in which Bruno clearly and explicitly depicts a prophetic image of where it would all end: in his death at the stake as a despised heretic. Shakespeare too understood the drama of minds so innovative, so audacious, that their societies were unable to respond to them except by decreeing their eternal silence.