Les vieux programmes de recherche productifs refusent de se rendre
Le remplacement de la physique continentale au 19e siècle, Partie 3
Le 3 mars 2024, j’ai donné une conférence à la Rising Tide Foundation intitulée “The Replacement of Continental Physics in the 19th Century” (« Le remplacement de la physique continentale au 19ème siècle »). Ce billet est le troisième d’une série de trois correspondant à une version éditée de la transcription de cette conférence. Les billets précédents furent
Deux programmes de recherche productifs au début du 19e siècle
Comment deux programmes de recherche productifs ont été délibérément abandonnés, première partie
Comment deux programmes de recherche productifs ont été délibérément abandonnés, seconde partie
La Résistance
Le remplacement des anciennes idées par les nouvelles introduites par les empiristes britanniques n'a pas été du goût de tout le monde. Examinons donc quelques aspects de la résistance. Tout d'abord, André-Marie Ampère lui-même, en 1823. C'est après les découvertes d'Ørsted. Ampère reconnaît tout de suite que les gens qui parlent de ce qu'on appellera plus tard le champ magnétique font revivre la physique cartésienne, c'est-à-dire qu'ils font revivre les tourbillons. Lisons donc :
la physique cartésienne se figure en voyant les planètes tourner autour du soleil qu’elles sont poussées dans le sens où elles vont par des tourbillons tournant dans le même sens, quand elle voit un pôle d’un aimant porté à la droite et l’autre à la gauche d’un fil conducteur, elle suppose un tourbillon autonome du fil, la physique newtonienne explique tous les phénomènes céleste[s] par une attraction dirigée suivant la droite qui joint les deux particules entre lesquelles elle s’exerce et le mouvement en est un produit compliqué, je fais à l’égard des nouveaux phénomènes ce qu’a fait newton pour les mouvemens célestes, je les explique par des forces attractives et répulsives1
André-Marie Ampère, 1823
C’était Ampère, déjà en 1823. Il les interpellait. Il critiquait explicitement Faraday pour avoir violé la troisième loi de Newton.
Près d’un siècle plus tard, nous nous intéressons à Jules Henri Poincaré (1854-1912), un brillant mathématicien. En mathématiques, de nombreux résultats et principes sont associés à Poincaré. Il a été le premier à écrire sur la relativité. Beaucoup disent qu’Einstein l’a plagié, mais qu’il n'a pas tout à fait bien compris les mathématiques. Mais il s’agit là d'une autre histoire, d’un autre exposé ou d'une autre série d'exposés. Eh bien, qu’a écrit Poincaré à propos de Maxwell ?
Pour un esprit accoutumé à admirer de tels modèles [de scientifiques tels Laplace ou Cauchy], une théorie est difficilement satisfaisante. [En d’autres termes, pour satisfaire des personnes habituées à lire des modèles merveilleux, il faut travailler sérieusement. C'est difficile.] Non seulement il n’y tolérera pas la moindre apparence de contradiction, mais il exigera que les diverses parties en soient logiquement reliées les unes aux autres et que le nombre des hypothèses soit réduit au minimum. [Ce langage est très différent de celui utilisé par les empiristes britanniques et leurs alliés allemands. L’ensemble doit être cohérent.]
. . . Le savant anglais ne cherche pas à construire un édifice unique, définitif et bien ordonné ; il semble plutôt qu’il élève un grand nombre de constructions provisoires et indépendantes, entre lesquelles les communications sont difficiles et parfois impossibles.2
Henri Poincaré, 1890
En d’autres termes, les différents aspects de la physique ont été séparés en différents éléments, et il n’est pas possible de créer un ensemble bien ordonné.
Il faut dire que Poincaré est resté poli. Mais son collègue Pierre Duhem, qui était à la fois physicien théoricien et historien des sciences, qui a beaucoup écrit sur la science médiévale et pré-galiléenne, et qui s’opposait à Einstein, avait des mots différents pour James Clerk Maxwell. Lisons-le :
A chaque instant, entre les lois les mieux établies, les plus universellement acceptées, de l’électricité, du magnétisme, et les équations qu’impose l’analogie algébrique ou l’interprétation mécanique, le désaccord éclate, criant ; à chaque instant, il semble que la suite même de ses raisonnements et de ses calculs va acculer Maxwell à une impossibilité, à une contradiction ; mais au moment où la contradiction va devenir manifeste, où l’impossibilité va sauter à tous les yeux, Maxwell fait disparaître un terme gênant, change un signe inacceptable [c’est-à-dire de plus en moins ou de moins en plus], transforme le sens d’une lettre ; puis, le pas dangereux franchi, la nouvelle théorie électrique, enrichie d’un paralogisme, poursuit ses déductions.3
Pierre Duhem, 19023
Je veux dire que c’est une critique cinglante, vraiment cinglante, qui dit en substance que James Clerk Maxwell est un imposteur. J’ai été vraiment étonné lorsque je suis tombé sur cette citation. Ce sont des mots sérieux.
Passons au monde d’aujourd’hui. Prenons l’exemple de feu Peter Graneau, qui était professeur au MIT, et de son fils Neil Graneau, dont je ne sais pas exactement quelle était sa fonction, mais qui travaillait à l’Université d'Oxford. Tous deux étaient de brillants chercheurs et ont collaboré pendant longtemps, père et fils, et ont mené de très nombreuses expériences en faveur d'Ampère, mais ils étaient également de fervents partisans d'Ernst Mach et avaient la vision la plus absolue de l’idée de l’action à distance. Pour eux, toute matière détecte instantanément toute autre matière de l'univers.
Pierre-Simon Laplace avait déjà démontré au 18e siècle que pour que la gravité fonctionne et que le système solaire reste stable, la gravité doit se déplacer au moins 10 milliards de fois plus vite que la vitesse de la lumière. Des calculs similaires ont été effectués par Tom van Flandern à la fin du 20e siècle : des vitesses inimaginables sont nécessaires pour que la gravité fonctionne, en d'autres termes, il n'y a pas de limite de vitesse de 3x10⁸ m/s que l'on nous dit provenir de la relativité, d’Einstein. Peter et Neil Graneau ont donc clairement poussé en faveur d'Ampère et d’Ernst Mach. Voici les titres de certains de leurs livres :
Voici une citation de Neil Graneau, dans l'éloge funèbre de son père, à propos de la théorie des champs :
Dans les années 1870, Maxwell s’est donné pour mission de développer une théorie des champs visant spécifiquement à introduire une substance indétectable qui habiterait l’espace entre tous les éléments de la matière et qui aurait autant de propriétés que nécessaire pour expliquer toutes les expériences connues. [Cela ressemble à Duhem et à cette idée que, oui, nous allons simplement inventer toutes les propriétés nécessaires pour correspondre à ce que nous avons vu dans l'expérience. Cela ressemble donc beaucoup à Bošković.] Sans raison autre que la mode, cette nouvelle approche de la théorie des champs est devenue populaire en Angleterre et, en l’espace de 20 ans, a envahi l’Europe continentale et le reste du monde scientifique, et l’ère de l'AADI [Action à Distance Instantanée] a pris fin.4
Neal Graneau, 2014
Qui est le prochain ? André Koch Torres Assis (1962-). Il a co-écrit des articles avec Peter Graneau, et je pense aussi avec Neal Graneau. Il a passé sa vie à faire revivre les travaux de Wilhelm Eduard Weber. Il a organisé des traductions de Coulomb, Ampère et Weber en anglais. Il a fait revivre l’électrodynamique wébérienne, ainsi que le principe de Mach, comme l’ont fait les Graneau. Il a inventé sa propre mécanique relationnelle, qui rassemble tout cela. Cela mériterait un autre exposé et de nombreux articles de blog à venir.
Voici donc quelques livres publiés par André Assis : les traductions de Coulomb et d'Ampère, cinq volumes de Weber. Assis a également écrit lui-même explicitement sur l’électrodynamique wébérienne. Malheureusement, le premier livre est incroyablement cher et le second est introuvable sur l’internet, même en occasion.
Enfin, je suis tombé sur une thèse de doctorat publiée en septembre 2022 à l'université de Liverpool, Aspects of Weberian Electrodynamics. L'examinateur externe était Neal Graneau lui-même. L'auteur est Christof Baumgärtel. En la lisant, on trouve de nombreuses pistes intéressantes, notamment pour parler de la relation entre la physique des plasmas et l’électrodynamique wébérienne, et ainsi de suite.
Le fait est que la résistance existe et qu’elle s'accroît. A-t-elle pris le contrôle de toute la science ? Non, bien sûr, en aucun cas. Cependant, il y a manifestement des gens qui reviennent sans cesse à ces idées et qui se disent qu’elles valent la peine d'être étudiées.
Conclusions
Il est donc temps de conclure.
Premièrement, les travaux d’André-Marie Ampère et de Wilhelm Eduard Weber suscitent un regain d'intérêt. Deuxièmement, la troisième loi de Newton est cruciale. Dès 1822, Ampère écrit directement à Faraday pour lui signaler que les lignes de force de ce dernier violent la loi.
Quant à l'affirmation de Helmholtz selon laquelle la loi de force de Weber ne conservait pas l’énergie, principale ligne d'attaque de Thomson et Helmholtz contre Weber, elle a été réfutée par Caluzzi et Assis en 1996. Cette réfutation était cruciale, car elle démontrait clairement que l’accusation était fallacieuse : elle était tout simplement erronée.
La question revient donc au tout début de l'exposé, où j’ai présenté deux programmes de recherche fructueux, l'un portant sur les propriétés de la lumière et l’autre sur les propriétés de l'électricité. Quelle est la relation entre les deux ?
En outre, on sait aujourd’hui que la majeure partie de la matière de l’univers se présente sous la forme d’un plasma. À quoi ressemblerait donc la physique des plasmas dans une perspective wébérienne ? Lorsque l'on parle de plasma, on fait continuellement référence aux courants de Birkeland, qui consistent en des paires torsadées de courants électriques, écrasés ensemble par leurs champs magnétiques. Mais dans l’électrodynamique wébérienne, il n’y a pas de champs magnétiques, mais il y a toujours l’écrasement des deux courants, alors que se passe-t-il exactement à l’intérieur d'un courant de Birkeland ?
Question suivante : Existe-t-il une explication simple de la mécanique quantique ? L'un de mes abonnés, Hans G. Schantz (@aetherczar), écrit actuellement un livre sur la relation entre l’électrodynamique et la mécanique quantique. Il affirme que la mécanique quantique peut être comprise de manière déterministe en utilisant les ondes pilotes proposées par de Broglie.
Il se peut que tout cela tienne la route de manière unifiée, mais il faut que quelqu’un fasse le travail, ou que plusieurs personnes le fassent.
Mais j'ai une autre idée intéressante. Je suis tombé sur quelque chose d’autre qui date de l’époque glorieuse des débuts de l’École polytechnique. Il s’avère que la mort thermique a été promue par toutes les personnes participant au mouvement anti-Weber : William Thompson, Hermann von Helmholtz, Rudolph Clausius, Ludwig Boltzmann. J’ai donc une question à poser : Les travaux de Lazare et Sadi Carnot, un autre couple père-fils, sur la thermodynamique ont-ils subi le même traitement que les travaux de Fresnel et Ampère ? Car Sadi Carnot a été accusé par William Thompson d’avoir violé le principe de conservation de l’énergie. Ah, ça me dit quelque chose, c’est exactement ce qu’ils reprochaient à Weber.
Ma conclusion pour aujourd’hui est donc la suivante : il y a tellement de contradictions dans la physique théorique aujourd’hui que nous devons revoir et refaire absolument tout ce qui a été fait depuis l'époque glorieuse de l’École polytechnique. Tout doit être repensé, réétudié, recompris, reconfirmé. De nouvelles expériences doivent être réalisées pour distinguer les subtilités entre les différentes théories, et ainsi de suite.
Le débat se poursuit. La science n’atteint pas un point final. Elle ne le fera jamais.
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Texte original (21 mars 2024):
Traduction avec l’aide partielle de Deepl.
Letter from Ampère to P. Erman, 1823. In Ivor Grattam-Guinness. Convolutions in French Mathematics 1800-1840: From the Calculus and Mechanics to Mathematical Analysis and Mathematical Physics. Springer Basel, 1990, pp.1333-1334.
H. Poincaré, Comptes Rendus, t.CXVI, p.1020, 1893. Cité dans Pierre Maurice Marie Duhem. Les Théories Électriques de J. Clerk Maxwell: Étude Historique et Critique. Édition retapée, sans éditeur 3 juillet 2014, p.11.
Pierre Maurice Marie Duhem. Les Théories Électriques de J. Clerk Maxwell: Étude Historique et Critique. Édition retapée, sans éditeur 3 juillet 2014, pp.9-10.
Dr. Neal Graneau. The Scientific Legacy of Dr. Peter Graneau: Instantaneous Interconnection of All Things. Infinite Energy 114:10-15, 2014.